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.L.E..T.E.X.T.E..
É
.T.R.A.N.G.E.R.
#5
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COMITÉ DE LECTURE
Hafida Aferyad
Aimez-vous les uns les autres :
un monde littéraire qui crée l'unité dans l'altérité
chez Julian Barnes et Angela Carter
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ngela Carter et Julian Barnes – deux écrivains anglais contemporains, qui mènent chacun à sa manière une recherche considérable dans la littérature et la civilisation françaises. Cet intérêt pour la France m'a poussée à chercher la nature de leur lien à la France en particulier et à l'Autre en général, et à étudier cette question de l'altérité dans leurs œuvres.                 
 
Nous savons que la France joue un grand rôle dans l'écriture de Julian Barnes. Cet écrivain anglais a bâti des ponts et a détruit des murs entre les deux pays, la France et la Grande-Bretagne, explicitement dans Cross Channel et Something To Declare, et implicitement dans Metroland, et dans Flaubert's Parrot ainsi que dans le reste de son écriture. Lors d'un des nombreux entretiens concernant son lien particulier avec la France, Barnes déclare :
 
It's primary exotic – it's the first foreign country I discovered, it's the other country I know best – geographically, I know France better than I know Britain. Its literature contains as many points of reference for me as English literature – and my books are well received there, so I am very fond of France in return. In most of my books, there is a French element. [1]
 
Qu'en est-il d'Angela Carter ? Pourquoi revient-elle souvent à la culture française pour restaurer ce qu'il y a à restaurer dans les histoires des femmes et des hommes ? Il semblerait que la France, et (notamment) la littérature française, soient devenues le chantier favori pour ses patchworks et ses expériences, en quête de l'Histoire engloutie ou/et voilée, et à la recherche d'une identité déracinée, violentée et perdue, propre à l'écriture de Carter. Ce traitement concerne à la fois sa fiction et sa « non-fiction » – bien que ces classifications entre fiction et non-fiction ne me semblent pas toujours pertinentes dans l'œuvre de Carter.
 
La présente étude n'a pas pour finalité de faire une comparaison entre ces deux écrivains, mais constitue davantage l'illustration d'une littérature sans frontières.
 
 
Le voisin d'à côté
 
Les manifestations du français dans les deux œuvres passent par la traduction de l'autre, par l'interférence de la langue de l'autre, et par les différents timbres et intonations de l'intertextualité. Dans tous ces états, le Français, le voisin d'à côté, est désiré et par Angela Carter et par Julian Barnes.
 
Qui est cet étranger interpellé à chaque fois par Barnes et par Carter ? L'autre, ce voisin avec qui on partage les seuils, l'autre qui est à la fois absent et présent ; sa langue, qui est à la fois revendiquée, détournée, convoquée et réécrite. Et pour quelle finalité s'en inspire t-on ?
 
Le dernier travail de Barnes est une traduction d'un roman d'Alphonse Daudet, The Land of Pain, traduction du français en anglais. Carter de son côté traduit et réécrit les contes de Perrault dans The Bloody Chamber, réécrit en prose plusieurs poèmes de Baudelaire dans Black Venus. Être dans le texte et hors du texte, c'est exactement l'exercice pratiqué par les deux auteurs-traducteurs, une activité de douleur et d'enchantement, dans une dualité incessante d'acrobate qui se perd souvent entre le même et l'autre, qui efface sans répit les possibles palimpsestes de l'autre culture et réécrit le texte étranger, fidèle à la littérature, infidèle aux frontières, formant un couple basé sur l'amour – l'amour de l'autre. Dans Traduction et création : l'ombre du géant, Albert Bensoussan exprime cette dualité de la traduction que Carter et Barnes marquent souvent dans leur réécriture du français en anglais :
 
Oui nous parlons de traduction dont la définition est, d'abord, d'être un transport. Transport de langue ou transport amoureux, transfert des mots et transfert des sens, ravissement et emportement où les voix se confondent. Et donc les termes de ce discours auxquels il m'est demandé de répondre, « traduction », « création », ces termes-là, je dirais non sans arrogance qu'ils se superposent, qu'ils sont synonymes. Traduire c'est créer, et inversement créer c'est traduire. [2]
 
 
L'interférence du français dans le texte anglais est une autre interpellation de l'autre dans ces deux œuvres. Dans les dictionnaires de linguistique, l'interférence est définie comme un effet négatif d'un apprentissage sur un autre dû à l'influence de la langue maternelle ou d'une autre langue étudiée. Cependant, il s'agit là des interférences culturelles de civilisations qui servent souvent à transmettre un message, un corps étranger qui attire l'attention. Je note ici que l'interférence culturelle n'engage pas seulement l'altérité propre à chaque culture, mais la dépasse pour souligner une image plus importante, celle d'une altération des deux cultures pour créer un nouveau monde de métissage qui se manifeste souvent dans la temporalité et le devenir ; cette interférence culturelle devient la clé et le symbole même de la création.
 
Carter par exemple, dans la nouvelle Black Venus, utilise plusieurs fois l'interférence comme effet de texte étranger – et par la langue et par le choix typographique de l'italique – en jouant avec le grammaticalement incorrect et en mettant en scène la vie de Jeanne Duval, la maîtresse mulâtre de Baudelaire dont on a peu entendu parler dans la vie ce dernier :
 
Where she came from is a problem ; books suggest Mauritius, in the Indian ocean, or Santo Domingo, in the Caribbean, take your pick of two different sides of the world. (Her pays d'origine of less importance than it would have been had she been a wine.) Mauritius looks like a shot in the dark based on the fact the Baudelaire spent some time on that island during his abortive trip to India in 1814. [3]
 
La francophilie de Barnes s'exprime aussi par la pratique de l'interférence dans la majorité de ses œuvres et particulièrement dans Flaubert's Parrot où le français revient fréquemment. Les deux langues – l'anglais et le français – se chevauchent continuellement dans cette ouvrage pour constituer un texte à deux langues où le risque est d'oublier qui nous sommes et où l'identité anglaise de l'auteur devient de moins en moins apparente. Ainsi le texte barnien est dé/cousu par des mots français qui constituent souvent une parfaite construction avec l'autre langue – l'anglais :
 
How would Mme Flaubert react to Gustave's sudden nocturnal absence ? What could he tell her ? A lie, of course : 'une petite histoire que ma mère a crue', he boasted, like a proud six-year-old, and set off for Mantes.
But Mme Flaubert didn't believe his petite histoire. She slept less that night than Gustave and Louise did. [4]
 
Cette pratique de l'interférence n'est qu'une manifestation parmi d'autres de l'utilisation de l'intertextualité par ces deux écrivains. Il faut penser que l'intertextualité est souvent présente chez eux d'une manière très ambivalente et contradictoire, comme dans la littérature contemporaine en général. D'un côté, elle implique que l'écriture est épuisée, et qu'il faut alors avoir recours au texte de l'autre, légitimer son écriture ; et l'on ne peut s'empêcher de se poser cette question : est-ce qu'on peut dire que tous les textes se valent ? Y a-t-il encore de l'original ? Ou la boucle de ressassement ne s'arrête-t-elle plus de tourner ? Que nous reste-t-il alors, dans ce monde cynique et postmoderne où l'on ne croit plus aux grands récits ? Et lorsque nous lisons et commentons des textes littéraires, pouvons-nous encore y trouver de la nouveauté, de l'original ? Mais tout d'abord qu'est ce que l'original ? D'un autre côté, la valeur de l'intertextualité s'investit dans le passage de l'esthétique par le motif du masque et du double pour réinventer l'écriture. Les deux écrivains ont vécu chacun à sa façon l'apparition des deux livres de John Barth, The Literature of Exhausion (1967) et The Literature of Replenishment (1980). Une lecture de ces deux écrivains nous montre que le manque et l'excès forment une dialectique qui gère souvent les deux œuvres. Le terme « enough » revient souvent dans Flaubert's Parrot, et chez Carter, le désert est souvent convoqué pour faire le vide et le trop :
 
I reached the desert, the abode of enforced sterility, the dehydrated sea of infertility, the post-menopausal part of the earth […]
I am helplessly lost in the middle of the desert, without map or guide or compass. The landscape unfurls around me like an old fan that has lost all its painted silk and left only the bare, yellowed sticks of antique ivory in world in which, since I am alive, I have no business. The earth has been scalped, flayed ; it is peopled only with echoes. The world shines and glistens, reeks and swelters till its skin peels, flakes, cracks, blisters.
I have found a landscape that matches the landscape of my heart.
 
Outre la beauté de ce passage, l'extrait illustre à la fois la première version de Barth qui parle de l'épuisement et la deuxième qui parle de l'enchantement.
 
En passant par le texte de l'autre, on arrive à inventer. De ce fait cette littérature s'inscrit dans le domaine de l'écriture imitative, de la parodie, du pastiche ainsi que dans le plagiat. N'empêche, le travail de citation fait par les deux écrivains est un travail compliqué, à plusieurs degrés, puisqu'il n'implique pas seulement un hypotexte, mais son époque, tout ce qui a été écrit depuis sur ce même hypotexte, toutes les crises et les critiques littéraires depuis cet hypotexte, et notamment la crise de la théorie littéraire en France des années 60 et 70.
 
C'est aussi un chantier qui fournit une dialectique entre l'autre et le même, l'étranger, l'apocryphe et l'imposture, et le propre, l'original et l'authentique. L'identité littéraire et culturelle devient problématique, le questionnement du vrai et du faux, de la fidélité et de la trahison prend de nouveau son importance. Cette dialectique chez Barnes et Carter est très complexe ; tous les deux se prêtent à la pratique d'une intertextualité multiple, de genres, de mélanges génériques, et de mélanges de langues. Dans Flaubert's Parrot par exemple, il s'agit de Flaubert, de l'écrivain, de l'homme, du biographe, d'autres écrivains qui ont pratiqué d'autres auto/biographies, de la fiction de Flaubert et de sa langue. Dans Black Venus, Baudelaire est présent de la même manière que Flaubert chez Barnes. Cette stratification, multi-composition de textes rend l'enquête du lecteur difficile, avec une intertextualité qui prend au fur et à mesure sa pertinence et sa légitimité. Les traces deviennent introuvables et les indices mal repérables. Cette complexité de la lecture nous projette dans un lieu commun, une langue morte sans appartenance précise, sans identité. Alors on commence à se demander qu'est ce que l'intertextualité apporte à ces textes ? Es-ce qu'elle les réinvente ou es-ce qu'elle les bloque ? Est-ce qu'elle ouvre comme « un lieu de reconnaissance » dans les termes de Compagnon, ou un lieu commun ? Les deux écrivains semblent, chacun à sa manière, former un discours ouvert, déraciné, franco-anglais, une communauté de discours infini dans le temps et dans l'espace.
 
On comprend qu'on a affaire à une intertextualité augmentative, qui ne cesse d'empiler les références et de bousculer les frontières géographiques et temporelles, à la recherche d'un lecteur total qui n'a pas une seule identité mais qui se reconnaît dans plusieurs altérités. Dans Flaubert's Parrot on entend un écrivain qui se pose la même question que nous : 
 
When a contemporary narrator hesitates, claims uncertainty, misunderstands, plays games and falls into error, does the reader in fact conclude that reality is being more authentically rendered ? When the writer provides two different endings to his novel ( why two ? why not a hundred ?), does the reader seriously imagine he is being 'offerd a choice' and that the work is reflecting life's variable outcomes ? Such a choice is never real, because the reader is obliged to consume both endings. (p. 99)
 
Ce lecteur continue son rôle encore une autre fois dans Black Venus : « See […] her, now, in her declining years [...] » (p. 13) où il reste fondamentalement actif. Il sature les blancs de l'écrit, recrée sa propre référence à une réalité imaginaire tout en mettant en cause les structures existantes par la création d'une nouvelle organisation.
 
En résultat, ces textes postulent une forme de lecteur fabuleux tout en le dénonçant. L'intertextualité finirait par être contre-productive et disloquerait le texte plus qu'elle ne l'unifierait. A la fin, cette écriture construit un monde sans règles et sans frontières. Cet excès intertextuel, peut-on le lire comme la marque d'un lien amoureux entre l'auteur et la littérature ? Entre le même et l'autre ? Peut-on le percevoir comme un lieu d'une intersubjectivité fusionnante de deux cultures à la fois semblables et différentes ? Parce que ces textes, ces deux œuvres restent souvent suspendues entre deux pays — la France et la Grande-Bretagne — et deviennent des textes presque bilingues.
 
 
Européen, étranger
 
C'est là où on se pose la question de savoir à quoi il sert de dresser des frontières, et si elles existent réellement dans les textes de Barnes et de Carter ?
 
Quelque chose à déclarer est le titre du recueil d'essais écrit par Barnes en 2002, juste après la création de la monnaie commune en Europe. Ce titre en question est une expression dans le jargon des douanes des frontières. Ce cliché est l'aboutissement d'un système politique qui cherche à préserver une identité nationale et donc culturelle d'un certain pays, selon des traditions bien ancrées : des traditions qui conditionnent l'existence du pays en question, et qui soulignent les limites avec les autres pays qui sont à ses frontières. Cette question de frontières ne se pose plus vraiment dans l'état actuel de l'Union Européenne, mais les textes des deux auteurs sont significatifs d'une époque où le mot frontière était plus clairement en vigueur. 
 
La conception de l'altérité qui a présidé au développement de l'Europe communautaire est devenue anachronique (ou soyons plus plausibles, inadaptée). Dans un monde ouvert où circulent librement non seulement les personnes physiques, les marchandises, les capitaux et les prestations de services, mais aussi l'information sous toutes ses formes, les écrivains ont affaire à des expériences de plus en plus composites. Il s'agit de se donner les moyens de reproduire dans le texte leur contemporanéité. Souvent la question a été posée à Barnes sur le secret de sa réussite en tant qu'écrivain auprès des français ; lors d'un entretien il répond :
 
For a long time I thoutgh it was because I was half French, or I was a bit European, but when I put this theory to French people I met, tentatively, they would all say, 'No, no, no. We like you because you're are so English'. [5]
 
Son écriture, ce tissu de mots devient alors à la fois une carte qui dessine sa fiche identitaire, son appartenance à une culture « anglaise », mais aussi le définit comme une multiplicité d'altérité, européen et « à moitié » français. Dans ce contexte, la notion d'altérité se dilue : où commence la culture de l'écrivain ? Où s'arrête celle de la littérature ?
 
Ces questions nous semblent aujourd'hui caduques puisque l'auteur moderne ne s'occupe plus à définir ces paramètres qui qualifieraient son écriture en tant que terrain délimité par des frontières. Le temps des consensus est révolu et que ce soit Carter ou Barnes, les frontières géographiques, temporelles ou consensuelles ne sont que d'intolérants paradigmes à la création et à l'art. Passé, présent et futur sont des éléments historiques mais aussi des termes qui perdent leur légitimité en ce qui concerne la création puisque nous vivons dans l'ici maintenant et donc le devenir. En conséquence, l'histoire c'est nous qui la réalisons et non le contraire. Les contes de Perrault réécrits par Carter par exemple ont complètement changé de registres. Alors que dans le temps de Perrault ces contes sont écrits dans un langage où la moralité était de mise, Carter a repris ces contes « d'oralité », les a déconstruit, et a effacé par la suite leur signification première pour leur donner une nouvelle vie où les monstres sont devenus gentils et vice-versa. Pour elle, c'est une réécriture de l'histoire ou la femme a repris la parole qu'elle n'avait pas à l'époque de l'hypotexte.
 
Cette écriture, loin d'être figée, est l'objet d'une invention permanente, comme en témoignent éloquemment les modifications que subissent tout au long du temps les symboles et les rituels. Carter considère que la critique de ces symboles est une critique de nos vies :
 
[…] we must not blame our poor symbols if they take forms that seem trivial to us, or absurd, for the symbols themselves have no control over their own fleshly manifestations, however paltry they may be ; the nature of our life alone has determined their forms. (The Passion of New Eve, p. 6)


Quelle éthique ?
 
La question éthique engage autant le rapport à soi que le rapport avec autrui. Quand on dit qu'une chose est différente ou distincte d'une autre, on peut toujours demander en quoi elle est différente.
 
L'altérité est un regard qui se détourne ; elle est là où le message devient lisible, dévoilé, dans le français, la langue et la culture de l'autre, dans l'époque où les choses changent, où les normes pivotent, où la tradition des gens et des genres bascule vers autre chose : la liberté. Et quand la langue de l'autre ne suffit plus ; quand cette langue n'arrive plus à exprimer l'altérité, c'est dans l'énonciation que cette altérité s'exprime. D'abord, par une complexité de codage intertextuel où tous les niveaux s'entremêlent et se nouent et deviennent indistincts. Ensuite, elle se déclare comme un recours final, par la perte de sens et la création d'un « non-sens », vide, insaisissable, et par une thématique de « rien », de l'innommable. Cette dialectique nous pousse au-delà des limites, et au-delà même des frontières de la pensée identitaire vers une pensée nomade où penser ne sert plus à produire de l'identité mais devient le travail même de l'altérité. Le point d'aventure de cette recherche s'établit par ce biais, la provocation d'un métissage du même et de l'autre. Cette dialectique se transforme, se manifeste comme une déclaration d'amour de l'autre qui arrive à s'observer comme dans un miroir à travers cet autre qui est à la fois proche et lointain.
 
À la recherche de nouvelles identifications culturelles et collectives, on défait les frontières, on s'approprie l'autre, sa langue et sa culture, et on lui déclare son amour. Mais alors qu'est ce que l'amour ? Quelles sont ses manifestations dans ces textes vagabonds, voyageurs ? La littérature d'amour est coprésente dans tous ces textes, par les histoires d'amour déclarées dans les titres comme Talking It Over, Love Etc. de Barnes, Love de Carter. Les histoires d'amour dans les deux œuvres sont un combat ponctuel d'unité et de séparation, de violence et de compassion. Dans toutes ces histoires d'amour ce n'est presque jamais une histoire à deux, il y a toujours une tierce personne, un amour à trois. C'est aussi un amour multiple comme dans « la parenthèse » de A History of the World in 10 1/2 Chapters un amour où la haine reste coexistante, présente comme un silence qui tue, un silence qui fait exploser les mots.
 
Chez Carter, cet amour est souvent synonyme de violence de corps, un sadisme sexuel et textuel qui fait toujours pivoter le langage vers l'extrémisme et le grotesque. Elle a d'ailleurs écrit un essai sur le sadisme et la folie comme un dialogue insensé entre l'amour et la mort, intitulé The Sadeian Woman : An Exercise in Cultural History L'amour physique devient viol, castration, déracinement des sexes, produit de machines. Le corps prend toute sorte d'archétype dans une transformation qui va dans tous les sens, qui met le discours dans tous ses états, vrai bric-à-brac, un chantier où la folie et la raison perdent leur sens ou le corps disparaît, se vide, se remplit, se revide et se perd dans le silence du non-sens, de l'instabilité et de l'insaisissable. Où le sujet devient fluide, éphémère comme dans un chaos d'origine. Le langage, objet, devient le centre d'un jeu linguistique jusqu'à sa consommation. Le texte s'auto-élimine, s'auto-construit et renvoit au lecteur ses peurs, ses craintes. Ce lecteur dépasse ses limites, perd son identité, devient objet hanté par le texte et s'apparente à lui dans son jeu intellectuel. On retrouve ce sentiment de perte et d'absurdité dans cet essai ainsi que dans The Passion of New Eve et ce n'est pas étonnant que ses deux œuvres soient écrites au cours de la même année 1977.
 
Affamé, assoiffé, frustré, violenté, le lecteur se retrouve au plein milieu de ce jeu sadique, ce jeu d'amour et de haine, de compassion et de trahison, devient objet/sujet, uni et séparé de ce texte fou, parfait, fermé et ouvert, plein et inachevé.
 
L'inachèvement est en quelque sorte la propriété maîtresse du processus de ces deux écrivains et de la littérature contemporaine. Cette esthétique d'inachèvement est une louange à l'altérité propre à chaque travail littéraire. Cette notion désigne la trace ou le symbole même d'une littérature qui s'auto-critique, et qui montre son propre mode de fonctionnement. Elle se met en statut d'inachevé, et en conséquence elle adopte une image de l'inexactitude, de l'imprécision, de l'imprévision, et de l'imperfection pour « être » dans le devenir.
 
Une poétique d'une littérature d'inachèvement est tout simplement une poétique d'altérité où le même n'existe pas sans l'autre et vice-versa. C'est dans ces termes que cette étude tente de montrer que le fil conducteur de la littérature contemporaine en général et les œuvres de Carter et de Barnes en particulier est de créer l'unité dans l'altérité ; ou dans d'autres termes refléter, réfléchir et représenter un savoir qui se maintient dans l'amour de l'autre.
 
 
 
Bibliographie
                                                                                                   
Barnes, Julian. Metroland. London : Picador, 1980.
. Flaubert's Parrot (1984). London : Picador, 1985.
. A History of the World in 10 1/2 Chapters (1989). London : Picador, 1990. 
. Talking It Over. London : Picador, 1992.
. Cross Channel (1995). London : Picador, 1996.
. Love Etc. London : Vintage, 2000.
. Something To Declare. London : Picador, 2002.
. In the Land of Pain : Alphonse Daudet. London : Jonathan Cape, 2002.
Carter, Angela. Love (1971). London : Penguin, 1988.
. The Passion of New Eve (1977). London : Virago, 1982.
. The Sadeian Woman : An Exercise in Cultural History. London : Virago,1979.
. The Bloody Chamber (1979). London : Penguin Books,1981.
. Black Venus (1985). London : Vintage,1996.
  
Bibliographie électronique
 
ATALA, La revue annuelle du Lycée Chateaubriand de Rennes, Numéro 2, La Traduction (mars 1999).
Barnes and France : Love requited. By BBC News Online's Alex Webb, (Friday 18 January, 2002).
 
  
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[1] March, Micheal, « Into the Lion's Mouth : A Conversation with Julian Barnes », The New Presence, December 1997. Cet entretien a eu lieu après la publication du roman de Julian Barnes intituled The Porcupine.

[2] ATALA, La revue annuelle du Lycée Chateaubriand de Rennes, Numéro 2, La Traduction (mars 1999).

[3] Carter, Angela, Black Venus

[4] Barnes, Julian, Flaubert's Parrot (1984), London, Picador, 1985, p.126

[5] Barnes and France : Love requited, by BBC News Online's Alex Webb, Friday, 18 January, 2002.
 


Hafida Aferyad est étudiante à l'Université de Paris 8. A la suite d'un D.E.A. sur « La réécriture dans l'œuvre d'Angela Carter », elle prépare actuellement une thèse de doctorat sous la direction de Claire Joubert, sur le thème : « La langue de l'autre : le français dans les œuvres de Julian Barnes et Angela Carter..