| n poète qui traduit de la poésie le faisant dans une langue donnée, éprouvée, la sienne (sa culture, son idiolecte, ce qu'on finit par appeler son style), étudier ses stratégies et finalement son œuvre de traducteur revient à évaluer si, par rapport à cette langue, la traduction prend valeur de vérification, de confirmation, de dépassement. Autrement dit, si dans l'acte de traduire le poète traducteur réutilise cette langue poétique, la met à l'épreuve, ou en explore une nouvelle. Il faudrait s'entendre sur la notion de « langue poétique », qu'on peut cerner dans des termes spitzeriens : une langue composée des déclics que produit la lecture du texte poétique. Il s'agit ici d'Ungaretti et de Shakespeare : il s'agit de ce qu'un poète italien, un des fondateurs du canon de la poésie du XXe siècle en Italie, traducteur par ailleurs de Racine et de Mallarmé, apporte à Shakespeare, de ce qu'il trouve chez lui, de ce qu'il tire de lui. D'évaluer comment, dans sa traduction de quarante des cent cinquante sonnets de Shakespeare, publiée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, c'est la langue poétique même d'Ungaretti qui se donne à lire, ou bien une quête, ou un tâtonnement. Le temps de la traduction Giuseppe Ungaretti, né en 1888 à Alexandrie, étudia à Paris et vécut à Rome, avec un long passage par le Brésil ; poète « entre les langues », selon la formule de Jean-Charles Vegliante [1], parce qu'élevé en italien et français. Il disait savoir l'arabe ; divers témoignages attestent qu'il ne parlait pas l'anglais, ni l'espagnol, et très mal le portugais, qu'il a cependant traduits : qu'il traduisait en réalité avec un relais, très souvent le français [2]. Son premier recueil paraît pendant la Grande Guerre, en 1916. Il revient à Paris en 1919, puis s'installe en Italie. Il part avec sa famille au Brésil en 1936, enseigne à Sao Paulo ; en 1939 son fils Antonietto, âgé de neuf ans, meurt brusquement : cet enfant mort sera une ombre constante dans sa vie et son œuvre. À la déclaration de guerre Ungaretti revient en Italie, et il vivra à Rome, avec de brefs mais fréquents séjours parisiens, jusqu'à sa mort en 1970. Ungaretti n'est pas un poète prolixe. En nombre de pages, son œuvre de traducteur représente quatre fois son œuvre de poète. Il laisse essentiellement cinq grands recueils (sa première traduction complète en français portait un titre aux résonances bibliques, Les cinq livres [3]) : Il porto sepolto, paru en 1916, inclus ensuite dans Allegria di Naufragi en 1919, devenu L'Allegria en 1931 ; Sentimento del tempo (1933) ; Il dolore (1947) ; La Terra promessa (1950) ; Un grido e paesaggi (1952) ; Il taccuino del vecchio (1961). En 1946 Ungaretti invente pour son œuvre poétique un titre unitaire, Vita d'un uomo, Vie d'un homme : une œuvre unitaire donc scandée en trois périodes nettement lisibles : l'hermétisme de L'Allegria, le classicisme de Sentimento del Tempo, la crise de Il Dolore, l'exploration des formes et des genres anciens épopée, madrigal, fragment ou non poétiques prose dans les recueils suivants. Ungaretti relisait, reprenait constamment ses poèmes, le détail du texte, l'agencement des pièces dans le recueil, dont il remaniait la configuration. Ce travail de variantes, reprises, rééditions, fait que son œuvre est, à chaque instant, la somme de ce que le poète veut bien conserver de ce qu'il fut. Aussi ses poèmes de guerre, ou ses poèmes en français, sont-ils tour à tour présents et absents dans ce qu'il considère comme son œuvre complète : selon les dates d'édition, donc selon le moment du regard rétrospectif que suppose la révision d'une édition d'œuvres complètes, Ungaretti les incluait ou les passait sous silence. Un travail de variantes qu'il étendait tout naturellement à ses traductions, envisagées à tous effets comme faisant partie intégrante de son œuvre poétique. Car si, à partir de 1946, toute la création en vers d'Ungaretti est regroupée sous le titre Vita d'un uomo, ses traductions aussi appartiennent à cet ensemble, si bien que le titre complet de sa traduction de Shakespeare est Vita d'un uomo. 40 sonetti di Shakespeare : que la part de biographie poétique comprise dans la formule « Vita d'un uomo » préside également à cette traduction tourmentée. Le premier volume qu'Ungaretti consacre au poète anglais, XXII sonetti di Shakespeare ; scelti e tradotti da Giuseppe Ungaretti, tiré à 498 exemplaires, paraît au milieu de mille difficultés pendant l'occupation allemande ; un an plus tard, en janvier 1945, le premier numéro de la revue Poesia publie six poèmes de Shakespeare dans la traduction d'Ungaretti. Les anthologies quasiment définitives des deux poètes baroques auxquels Ungaretti a travaillé pendant la guerre paraissent en 1946 (40 sonetti di Shakespeare) et en 1948 (Da Góngora e da Mallarmé). La version définitive de la traduction shakespearienne sera éditée en 1964 avec d'autres variantes encore, l'aboutissement d'une aventure éditoriale assez complexe, où les aléas de la guerre croisent les hésitations du traducteur et les relectures incessantes du créateur. La poésie d'Ungaretti se place constamment sous le signe du temps : le temps historique de l'inspiration et de la création, si bien que dans ses poèmes est très souvent incluse la date de création, qui figure en haut ou en bas du texte ; et très souvent cette inscription temporelle participe d'une fiction poétique. Et puis l'obsession du temps qui préside à la création comme à la vie, que le titre Sentimento del Tempo, le sentiment du temps, célèbre avec éloquence. « Une œuvre originale de poésie » Mais pourquoi traduire ? Si l'on peut évoquer, à ses débuts du moins, des raisons d'opportunité ou de stratégie éditoriale, par exemple pour la traduction d'Anabase de Saint-John Perse en 1936, il est clair qu'elles ne suffisent pas à justifier que l'œuvre du traducteur soit tellement plus imposante que celle du poète. Ungaretti a traduit du français, beaucoup (Saint-John-Perse, donc, et deux récits de Jean Paulhan, pour les vivants ; puis L'Après-midi d'un Faune de Mallarmé, Phèdre de Racine, la poésie de Rimbaud, restée largement inédite), mais aussi de l'espagnol (Góngora), du portugais du Brésil (fables populaires, poèmes du XVIIIe et poètes contemporains), et de l'anglais : Shakespeare, puis Blake [4]. Et pourtant, interrogé à ce sujet en 1946, Ungaretti exprimait une position qui est tout à la fois une condamnation et une illustration de la traduction : La poésie est tellement individuelle et inimitable, qu'elle est intraduisible. La traduction est l'épreuve du feu de combien elle est individuelle et inimitable. Son rythme ne peut être traduit, chaque langue faisant dériver ses regroupements rythmiques de sa nature et de la longueur de ses mots, de la manière la plus propre et sans possibilité de transfert. La qualité syllabique ne peut être traduite, la première différence sensible entre deux langues résidant justement dans les valeurs phoniques. Le contenu ne peut être traduit, parce que chaque contenu est animé et entraîné dans le secret d'une personnalité. Autrement, elle ne serait pas une personnalité unique, comme l'est fatalement chaque personnalité humaine. Le contenu sera donc lui aussi soumis à l'interprétation. Enfin, on ne peut traduire sa forme ni son style, dans lesquels tout se retrouve, se confond et vit, et devient émouvant, puisque tout le reste ne devait ni ne pouvait être traduit. Pourquoi traduit-on alors, me demanderez-vous ? Pourquoi est-ce que moi-même je traduis ? Simplement pour faire une œuvre originale de poésie [5]. Traduire fut pour Ungaretti une activité constante, avec des pics, des rémissions et un moment crucial, l'avènement du baroque dans sa vie et dans sa poésie, entre 1932 et 1948, dont la découverte coïncide avec l'arrivée à Rome, la contemplation de Michel-Ange, architecte et sculpteur, mais aussi poète. Il n'y a auparavant que velléités de traduction. Après, il y a aboutissement, prolongement, aventure certes, avec Rimbaud et Blake, jusqu'à la juxtaposition au sein d'un même ouvrage de la création poétique et de la traduction poétique, avec le volume tardif Apocalissi e sedici traduzioni [6]. Les premières traductions de Góngora par Ungaretti datent de 1931, et quelques fragments paraissent dès 1932, repris dans Traduzioni en 1936. Le passage de Góngora à Shakespeare est médié par Pétrarque : l'un et l'autre incarnent deux voix baroques de ce pétrarquisme européen qui pour Ungaretti est comme une koiné [7] : « Le Pétrarquisme [É] ne pouvait dessiner toute l'immensité de ses intérêts à travers la seule traduction de quelques sonnets de Góngora, et j'avais, en 1931, songé à une interprétation des poèmes de Shakespeare » [8]. Cependant, en travaillant les sonnets de Shakespeare, Ungaretti met en italien des textes considérés jusque-là comme mineurs, dont les traductions étaient comptées : la toute première, celle d'Angelo Olivieri, de 1890, est en prose, la première traduction en vers, celle d'Ettore Sanfelice, date de 1898. Curieusement, Ungaretti n'est pas le seul traducteur italien de Shakespeare pendant la guerre : la traduction de Pietro Rebora paraît en 1941, en 1948 Eugenio Montale inclut trois sonnets dans Quaderno di Traduzioni. À la même époque, Celan le relit et le traduit. La « grande aventure » [9] que fut la traduction de Shakespeare va donc de 1931 à 1948. Une période de tâtonnements poétiques et de tourments personnels, de travail universitaire au Brésil puis de guerre en Italie. Entre Sentimento del Tempo et Il Dolore, onze ans. Ungaretti n'écrit pas, n'écrit plus. Les deuils récents du poète, la mort de son frère Costantino en 1937, et surtout celle de son fils Antonietto en 1939, expliquent peut-être ce silence. Cette époque, Ungaretti la présente toujours comme la plus stérile pour sa poésie : Au Brésil je fais le professeur, j'enseigne, et je m'occupe surtout d'étudier des écrivains italiens. J'étudie Dante, j'étudie Manzoni, d'autres écrivains italiens, Boccace, presque tout mon temps est consacré à ces études, ce sont des essais qui probablement verront le jour, quelques-uns ont déjà été publiés, et je n'arrive pas à faire de la poésie. Je m'y suis mis tant de fois, au Brésil, je n'ai pas pu écrire un vers. Je ne sais pas pourquoi. J'ai beaucoup travaillé, j'ai travaillé avec bonheur, mes écrits de critique de cette époque, ce sont des études qui sont bien venues, mais la poésie, je ne pouvais pas en faire. J'avais commencé en Italie La Terra Promessa, j'ai griffoné, j'ai griffoné, je n'ai rien pu en faire. Alors, pour voir, je me suis mis à la traduction (quand je n'arrive pas à faire de la poésie, en somme, pour en faire quand même, je traduis, et j'apprends, et je me renouvelle), mais je n'arrivais pas à traduire. J'ai pris des sonnets de Shakespeare, ils sont difficiles, c'est entendu, mais en somme un sonnetÉ j'y ai peiné des semaines et des mois et je n'en suis pas venu à bout [10]. Ainsi la traduction de Shakespeare se substitue explicitement à la poésie : « À Rome, une nuit de l'année dernière, j'étais en quête d'un dérivatif quelconque à ces soucis qui m'accablaient, et je me suis de nouveau mis à taquiner quelques phrases, et soudain je me suis aperçu que, s'il n'était pas présomptueux de s'obstiner à transférer un contenu poétique d'une langue à une autre avec quelque précision, il était absurde de ne pas laisser chacune de ces deux langues, si dissemblables, suivre chacune son vers » [11]. un « dérivatif », un ersatz. Je ne traiterai pas ici du choix du poète, des 40 sonnets qu'il retient. La liste des incipit, donnée en annexe, suffit à produire une impression de la manière du traducteur. On le voit conserver quelques regroupements, comme les 50-51 où le poète chevauche une monture fatiguée, et refuser les choix les plus prévisibles : ainsi il n'a pas retenu le sonnet 49, « Against the time », qui pourrait si bien s'enter sur sa propre poétique. Je ne traiterai pas non plus des erreurs. Ungaretti est bien conscient des périls de son entreprise, dont les enjeux sont stylistiques et métriques : « Il y avait plusieurs sortes d'erreurs à éviter : de langage ; ou des erreurs d'interprétation : la manière emphatique des Romantiques, la manière léchée des contemporains, la manière pudibonde de tant d'autres » [12]. Comme la poésie, la traduction a ses inspirations. L'édition des XXII sonetti di Shakespeare porte en introduction une indication biographique et historique : « Cette traduction était annoncée et devait paraître il y a huit mois, si un prélèvement de papier et d'autres entraves de ces semaines horribles n'étaient intervenus pour en retarder la parution » [13]. Ces lignes ont été écrites en décembre 1944, et les dates en bas de page sont « décembre 1943-septembre 1944 ». De ces « semaines horribles » Ungaretti s'entretiendra avec Jean Amrouche, où la seule évidence est la facilité inattendue de cette traduction si laborieuse auparavant : Les sonnets de Shakespeare ont été traduits pendant l'occupation allemande, publiés à Rome à ce moment-là aussi, et dans cette période j'ai pu traduire avec une facilité et une rapidité inattendues, extraordinaires [14]. La création du traducteur Il est explicite qu'Ungaretti traduit Shakespeare en lieu et place d'écrire de la poésie. Que, pendant la guerre, il traduit Shakespeare comme il écrit sa poésie. Mêmes élans, illuminations, rapidité, et même cette miraculeuse « facilité », un mot qu'un traducteur n'emploie jamais. C'est que dans Shakespeare Ungaretti résume son parcours poétique. Il remonte à la source pétrarquesque. Il retrouve l'hermétisme de ses débuts. Cela, le taducteur le révèle dans un étonnant exemple d'auto-critique appliquée à sa traduction du sonnet LXVIII, qu'il considère comme « le mieux traduit » [15] : La sua guancia mappa delinea dei giorni d'una volta Quando bellezza aveva l'alba e morte, uso dei fiori, Quando non nati ancora, segni bastardi d'attrazione Non ardivano farsi seggio su una fronte vivente, Quando le trecce d'oro della morte, Diritto dei sepolcri, non erano recise né asportate Perché un'altra vita godessero su una seconda testa, Quando il letto della bellezza, morto non rallegravi : In lui vedrete ancora quelle ore antiche e sante Prive d'ogni ornamento, quando bellezza era se stessa e vera E non ne seguiva d'estate togliendo il verde altrui, E non rubava per rifarsi nuova, il decaduto : Va conservando lui Natura come opportuna mappa Per segnalare alla falsa Arte, la bellezza d'un tempo [16]. Le traducteur commente longuement ses choix lexicaux : Pourquoi serait-il laid de rapprocher « joue » de « carte », comme l'a fait Shakespeare ? Ce sonnet déborde de choses, et pourquoi ne devrait-il pas se remplir encore, pourquoi sa poésie ne serait-elle pas enrichie de cette odeur d'eau saumâtre, de mer, d'océan même, qui est si bien évoqué par « carte » ? Les modes de la poésie sont infinis, comme ceux de la peinture, et dans le monde il y a de la place pour Raphaël et pour Picasso. C'est un sonnet plein de théâtre, avec des tresses blondes arrachées à la mort dans les tombeaux ; avec la foule des courtisans en perruque blonde les cheveux des morts pour aduler la Reine aux tresses blondes ; avec des mots tels que « store », qui porte l'odeur du trafic fébrile des ports, de sueur, de goudron, de l'alignement des magasins, des épices. Et si d'une joue, de cette joue du vertueux jeune Seigneur, que l'on suit de l'enfance à la vieillesse, on affirme qu'au cours de son existence elle dessinera comme la route d'une navigation, qu'elle sera comme une « carte » précieuse pour qui a besoin d'une guide sûr dans les tourmentes de la beauté pourquoi s'en étonner ? Parmi les scènes évoquées, dans ce tableau, quelle autre image aurait été plus réussie ? Laquelle aurait été mieux adaptée [17] ? La valorisation des « paroles », du simple « sens des choses », est particulièrement sensible dans ce poème où les substantifs s'accolent et s'aimantent, « la sua guancia mappa », « l'alba e morte », « uso dei fiori », pour composer une prosodie binaire, « recise né asportate », « antiche e sante », « se stessa e vera », qui sature de sens chaque vers. Ungaretti défend la possibilité d'une poésie paratactique, où les mots sont juxtaposés et, soulignons le terme, trouvés : « ho trovato le parole », « j'ai trouvé les mots ». La poésie précisément qu'il avait trouvée dans son trobar clus, sa phase hermétique, dans un poème comme « Lago luna alba notte », « Lac lune aurore nuit », qui mérite ici d'être cité intégralement dans la traduction de Philipe Jaccottet : « Arbustes grêles, cils/ De murmure caché.// Lividité plus pâle, ruineuseÉ// Un homme, solitaire, passe/ Dans sa muette stupeurÉ// Conque brillante, tu jettes/ Aux bouches du soleil !// Tu reviens, âme, comble de reflets/ Et retrouves riant/ L'obscurÉ// Temps, fugace frissonÉ » [18] Pétrarquismes Si Ungaretti traduit Shakespeare pour réactiver son propre mouvement poétique, il y cherche également, c'est palpable, un fond pétraquesque qui le rattache à ses recherches comme historien de la littérature, comme professeur à Sao Paulo puis à Rome (qui est une autre ersatz de la création poétique). Il commence par disséquer le sonnet. Lorsqu'il déclare : « J'ai pris des sonnets de Shakespeare, ils sont difficiles, c'est entendu, mais en somme un sonnetÉ j'y ai peiné des semaines et des mois et je n'en suis pas venu à bout » [19], s'il se permet une concession telle que « En somme, un sonnet », c'est qu'il connaît bien le mécanisme du sonnet, et qu'il l'ouvre, comme une horloge. En italien, le poème anglais garde ainsi sa forme de sonnet, enserrée en quatorze vers, mais la versification est inhabituelle, le vers long, très long parfois, étonne chez celui qui fut le poète des versicules : un seul vers de onze pieds, le cinquième, qui pourrait être de Pétrarque, est enchâssé dans une alternance et une combinaison de vers de cinq, sept, neuf et onze pieds. Ce qu'Ungaretti annonce en introduction : « Si l'on note que dans un même groupe de vocables, la quantité des syllabes italiennes est supérieure à celle des anglais dans un rapport d'environ seize pour dix ou onze, la difficulté est résolue » [20] : ses vers sont donc une combinaison métrique. Mais cette première introduction n'a pas paré à toutes les critiques qu'ont suscité les traductions des sonnets de Shakespeare [21], si bien qu'Ungaretti a été amené à défendre la traduction de ce poème précisément, donc à expliciter encore sa position de traducteur : « Les vers de neuf, sept, onze ou cinq syllabes n'ayant jamais été des schémas pour moi, il ne naissent jamais chez moi après que j'ai trouvé les paroles ; mais ils naissent avec les paroles, dont ils animent naturellement le sens » [22]. Ungaretti répète non seulement des structures de sa poésie, mais des lexèmes aussi : il puise dans sa langue. Il semble difficile de contester que dans le sonnet LXVI le poète italien ait été attiré par ce « And captive good attending captain ill » qui devient l'écho d'un héros de Sentimento del Tempo, le capitaine qu'il avait connu pendant la Grande Guerre ; partant, que lorsqu'il traduit le vers de Shakespeare par « E al male capitano, subordinato il bene in servitù », il ne songe pas à ses vers des années 1930, « Fui pronto a tutte le partenze. // Quando hai segreti, notte hai pietà./ [É] Il capitano era sereno. // (Venne in cielo la luna) [É] » [23] Le Shakespeare que choisit le traducteur Ungaretti est tragiquement conscient de l'absence, de l'oubli et du temps, qu'il réitère dans un lexique déjà investi par le poète Ungaretti. Ainsi le sonnet XXXIII, avec son stupéfiant « universo orbato » : Ho veduto più d'un mattino in gloria Con lo sguardo sovrano le vette lusingare, Baciare d'aureo viso i verdi prati, Con alchimia di paradiso tingere i rivi pallidi ; E poi a vili nuvole permettere Di fluttuargli sul celeste volto Con osceni fumi sottraendolo all'universo orbato Mentre verso ponente non visto scompariva, con la sua disgrazia : Uguale l'astro mio brillò di primo giorno Trionfando splendido sulla mia fronte ; Ma, ah ! non fu mio che per un'ora sola, Il nuvolo della regione già lo maschera a me. Non l'ha in disdegno tuttavia il mio amore Astri terreni possono macchiarsi se il sole del cielo non si macchia [24]. Et aussi ce vers du sonnet CXIX, « Come i miei occhi furono dall'orbita propria stravolti », qui traduit l'anglais « How have mine eyes out of their spheres have fitted ». Ces termes réitérés d' »orbita », « universo orbato » dans la poésie d'Ungaretti expriment la Rome baroque et torturée qui traverse le sujet lyrique et dramatique depuis Sentimento del Tempo à Il Dolore, celle du vers de « D'agosto », « Sino ad orbite ombrate spolpi selci » [25], qui est l'épure de plusieurs passages de la prose au vers, et de plusieurs vers à un seul. L'absence d'un seul être transforme l'univers « orbato », privé, aveuglé en orbita, paronomase explorée en poésie, où tout est allégorique d'un squelette. Autre exemple de réemploi presque archéologique d'un terme poétique dans la traduction, l'itinéraire d'un adjectif singulier, le « famelico » de « Sicura avanzi e canti/ sopra un mare famelico » [26], dans L'Allegria, qui figure en incipit d'un sonnet shakespearien : O famelico tempo, la zampa del leone corrodi E fa' che la terra divori la propria genitura [27]. L'adjectif fatal reviendra, avec un sens et une position identiques, dans un poème tardif : « È ora famelica » [28]. Est-ce hasardeux que d'imaginer que cette deuxième occurrence de l'adjectif « famelico dans la poésie d'Ungaretti est informée par sa présence lancinante, sa connotation temporelle, à travers la traduction shakespearienne ? Ainsi non seulement la traduction serait une reprise et mise à l'épreuve de la langue poétique, mais elle figurerait également une consolidation et une vérification de cette langue, dont le terrain de définition n'est plus l'œuvre poétique du traducteur, mais aussi l'œuvre de traducteur du poète. Enfin la traduction permet au poète de dire ce qu'il ne peut encore dire. Lorsqu'Ungaretti écrit « Una seconda gravidanza d'un anteriore figlio » [29], son fils Antonietto est déjà mort. Lorsque l'angoissant sentiment du temps de Shakespeare semble pouvoir être contré par l'enfantement allégorique de la création littéraire, cet enfantement même est mis en doute et compromis. L'enfant est mort. Dans le premier des Quaranta sonetti, présent dès 1944, les ravages du temps se conjuguent au futur, et la paternité, qui est une possibilité de survie (de la beauté de l'être aimé, et métaphoriquement de l'être lui-même), au conditionnel : Ma quale lode inspirerebbe la tua bellezza logora Se tu potessi replicare : « questo mio ragazzino Assolverà il mio debito, scusabile farà ch'io invecchi », La sua bellezza dimostrandosi, per successione, tua ! Sarebbe il tuo rinnovamento quando sarai già vecchio, Vedresti il tuo sangue ardere quando ne sentirai già il gelo [30]. Dans Il Dolore, qui paraît en 1946, dont la rédaction est préparée, comme accouchée par la traduction de Shakespeare, l'absence d'un enfant se conjugue dans une variation analogue des temps verbaux : « Mi porteranno gli anni/ Chissà quali altri orrori,/ Ma ti sentivo accanto,/ M'avresti consolato » [31]É Le futur assure que le temps vient tout détruire, l'imparfait convoque le souvenir, le conditionnel, passé ici, présent chez Shakespeare, vient tout compromettre : c'est la situation temporelle que Carlo Ossola définit comme une « réversibilité du futur dans le passé, 'agglutinée' dans un même 'inconstant stay' » [32]. Un enfant, un fils, est « le modèle éternel de la beauté [É] représenté comme le passage de la forme qui se découpe contre la destruction de la mort. En résulte une sorte de manichéisme dans lequel l'indestructibilité de la jeunesse est compromise par sa dissolution dans l'individuel » [33]. Le poète hermétique s'autorise en traduction des tentations prosaïques : il guette dans le texte anglais des juxtapositions qui l'autorisent à ce que la poésie italienne, et sa propre poésie jusque là, n'exploraient pas. Dans le distique final du sonnet XXVIII, « Ma il giorno deve tutti i giorni prolungarmi gli affanni/ E notte farmene apparire più aspro ogni notte il male » [34]. la répétition conserve du caractère obsédant de cette « notte », nuit fatale, « night doth nightly ». Dans le sonnet CXXVIII, l'identité entre le sujet et le complément d'objet direct, « Quante volte quando, mia musica, musica tu eseguisci » [35] est le ressort du poème, et un piège grammatical que seule résout une virgule ajoutée au texte anglais. Ces répétitions qui s'apparentent à la nonchalance de la prose et aux explorations poétiques qui viendront avec Monologhetto ( »Il cielo è un cielo di zaffiro/ E ha quel colore lucido/ Che di questo mese gli spetta/ Colore di Febbraio/ Colore di speranza » [36] sont également des vertiges hermétiques : la syntaxe tourmentée prélude à des anacoluthes, des ellipses qui ont constitué la poésie d'Ungaretti avant la traduction de Shakespeare, qui y affleurent après, comme dans un poème du Taccuino del Vecchio, qui à certains égards s'apparente au sonnet XXVIII : L'evocato miracolo mi fonde La notte allora nella notte dove Per smarrirti e riprenderti inseguivi Da libertà di più In più fatti roventi, L'abbaglio e l'addentare [37]. Douleur et poésie Le recueil Il Dolore tire son titre de la confrontation entre la douleur personnelle, individuelle (la mort de son fils Antonietto) et la douleur collective (la tragédie de la Seconde Guerre mondiale). On parlait de silence : le poète est muet, il réapprend à écrire par le biais de la traduction. Dans cette traduction, il module un cri. Obsessionnel dans ses choix, tâtonnant parfois dans ses solutions, Ungaretti tisse à travers Shakespeare le passage de Sentimento del tempo à Il Dolore. Sentimento del Tempo s'achevait par l'interrogation et la répétition « quale grido ridesti », qui dans la première version, de 1934, était le lancinant : Nelle sere d'estate Quale dolore grida ? Quale dolore grida [38] ? Le cycle funèbre de « Giorno per giorno », dans Il Dolore, relève de la lamentation poétique sur les enfants morts, presque un genre littéraire sinon une raison de la littérature. Le poète implore : « non gridate più ». On retrouve cette lamentation chez des auteurs qu'Ungaretti fréquentait et allait chérir de plus en plus, du Tombeau d'Anatole [39] que Mallarmé ne fit qu'esquisser à la complainte de Virgile sur Marcellus [40]. On a lu la complainte de la jeunesse menacée chez Shakespeare : cette traduction a accompagné le deuil. La publication de Il Dolore s'enchâsse entre 40 sonetti da Shakespeare et Da Góngora e da Mallarmé. Ungaretti a traduit Góngora, Shakespeare et Racine au moment où il écrit Il Dolore, pour que les voix des autres soutiennent la sienne affaiblie : Shakespeare, Góngora et Racine forment le chœur qui accompagne le protagoniste tenté par le cri extérieur au logos, négation de la parole poétique. En traduisant Shakespeare Ungaretti a su répéter sa poésie d'avant, essayer une voie poétique autre, qui le conduit moins à ses fragments animés par une ambition théâtrale et épique, qu'à des textes à la lisière de la prose, ceux qui admettent et accueillent la lenteur et la répétition, tel l'autobiographique Monologhetto. C'est un moment d'articulation de la voix, qui paraît lorsque le poète campe son œuvre complet : Vita d'un uomo. Justement, Vita d'un uomo. 40 sonetti di Shakespeare est le premier volume de cette série, qui inaugure le rapport définitif du poète avec l'éditeur Mondadori, mais surtout revendique l'unité entre l'homme et l'œuvre, entre le poète et le traducteur. Et pourquoi ne pas songer que le titre « Quaranta sonetti di Shakespeare », plutôt qu'un plus simple « Da Shakespeare » qui eût entretenu le parallèle avec Da Gongora e da Mallarmé, fait résonner, sur la couverture, l'écho du vers « Quando quaranta inverni », l'écho de l'empire et de la menace du Temps, auquel le poète et l'homme se résignent en le traduisant, en le redisant. Annexe : Liste des incipit des sonnets de Shakespeare traduits par Ungaretti. Giuseppe Ungaretti (1888-1970) Vita d'un uomo. 40 sonetti di Shakespeare, Milan, Mondadori, 1948 2 Quando quaranta inverni faranno assedio alla tua fronte 6 Non lasciare la scarna mano invernale che, prima 15 Nessuna cosa se ne osservo il terreno sviluppo 19 O famelico Tempo, la zampa del leone corrodi 27 Stremato da stanchezza, verso il letto in fretta m'avvio 28 Come potrei dunque tornare a uno stato felice 29 Quando in disgrazia alla fortuna e agli occhi degli uomini 30 Quando nelle sessioni del dolce silente pensiero 33 Ho veduto più d'un mattino in gloria 35 Non esser più preso da pena per quello che hai fatto : Come la tua virtù potrei cantare a modo Le galanti mancanze che libertà va commettendo 50 Oh, a che punto m'accascia percorrere questa mia strada 51 Così il mio affetto può trovare scusa alla lenta offesa 53 Quale è mai la vostra sostanza, di cosa siete fatto 55 Non il marmo, né gli aurei monumenti 59 Se quaggiù nulla è nuovo, ma tutto quanto ciò che è 62 L'amore della mia persona mi possiede lo sguardo 66 Stanco di tutto, imploro la pace della morte, 68 La sua guancia mappa delinei dei giorni d'una volta 71 Il vostro pianto quando sarò morto non si prolunghi 73 Quel tempo in me puoi vedere dell'anno 98 Da voi fui assente nella primavera 99 Sgridai così la primaticcia viola : 107 Non i timori miei, né l'anima profetica 112 Il vostro amore e la pietà ricoprono l'impronta 119 Quali bevvi pozioni delle lacrime di Sirena 120 Oggi gli sgarbi vostri d'un tempo mi sono cordiali 123 No, Tempo, tu non ti potrai vantare che anch'io muti : 128 Quante volte quando, mia musica, musica tu eseguisci 129 Un dispendio di spirito in immane squallore d'onta 130 Non sono il nulla uguali al sole gli occhi della mia bella ; 131 Quale tu sia, per me tirannica e l'uguale sei 132 I tuoi occhi amo ed essi movendosi a pietà di me 133 Maledico quel cuore che tanto fa il mio cuore gemere : 140 Quanto sei crudele sii saggia e non spremere più 144 Ho per disperazione e per conforto due amori, 146 Povera anima, centro d'una terra peccaminosa, 150 Oh ! da quale potere hai tu quella forte potenza 151 Per intendersi di coscienza amore è troppo bimbo ------------------------------------------------------------------------ [1] Jean-Charles Vegliante, Ungaretti entre les langues, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 1988. [2] Je me permets de renvoyer à mon étude : Isabel Violante Picon, « Une œuvre originale de poésie ». Giuseppe Ungaretti traducteur, Paris, PUPS, 1998. [3] Giuseppe Ungaretti, Les cinq livres, texte français établi par l'auteur et Jean Lescure, Paris, Éditions de Minuit, 1954. Les différentes traductions d'Ungaretti par Jean Lescure, Jean Chuzeville et Philippe Jaccottet sont disponibles en français dans l'édition de poche Giuseppe Ungaretti, Vie d'un homme. Poésie 1914-1970, Paris, Éditions de Minuit-Gallimard, 1981, puis 1998. En italien, son œuvre occupe trois imposants volumes : Vita d'un uomo. Tutte le poesie, Milan, Mondadori, 1970 (dorénavant TP), qui comprend son œuvre de poète ; Vita d'un uomo, Saggi e interventi, Milan, Mondadori, 1974 (dorénavant SI), qui présente un large choix de ses travaux de journaliste et critique ; Vita d'un uomo. Viaggi e lezioni, Milan, Mondadori, 2000, où sont rassemblés ses cours universitaires et proses de voyage. [4] Les volumes de traductions publiés par Ungaretti sont les suivants : Traduzioni, Roma, Novissima, 1936 (avec notamment Anabasi de Saint-John Perse et des poèmes de Blake et de Gòngora) ; Vita d'un uomo : 40 sonetti di Shakespeare, Milano, Mondadori, 1946 ; Vita d'un uomo : da Góngora e da Mallarmé, Milano, Mondadori, 1948 ; Vita d'un uomo : Fedra di Jean Racine, Milano, Mondadori, 1950 ; Murilo Mendes, Finestra del caos, Milano, Scheiwiller, 1961 ; Páu Brasil, in Il Deserto e dopo, Milano, Mondadori, 1961 ; Vita d'un uomo : Visioni di William Blake, Milano, Mondadori, 1965. On ne signale ici ni les innombrables traductions parues en revue, non complètement recensées à ce jour ; ni les versions intermédiaires, dans lesquelles s'articule par exemple le travail sur Shakespeare. [5] SI, p. 739. [6] Vita d'un uomo. Apocalissi e sedici traduzioni (Ancône, Bucciarelli, 1965) est un volume exclusivement de poésie, écrite ou traduite par Ungarettti. Après une section de poèmes fragmentés, déchirés, une série de traductions : un passage de Lucrèce ; de Shakespeare, « Quando quaranta inverni faranno assedio alla tua fronte », « O famelico tempo, la zampa del lone corrodi », « La sua guancia mappa delinea dei giorni d'una volta », « Un dispendio di spirito in immane squallore d'onta » ; de Góngora, « Finché dei tuoi capelli emulo vano », « Entro plebee urne, entro regali tombe », « Rapini il mio sembiante, e al tuo pennello », « Freccia impaziente non richiede tanto » ; de Blake, « Il bimbetto nero », « Udii cantare un angelo », « Ebbi timore », « In un'ombra di mirto » ; de Mallarmé, « Cantico di San Giovanni » ; de Rimbaud, « Vergogna », « A una ragione ». [7] L'intérêt d'Ungaretti pour Shakespeare apparaît dès 1918, mais n'acquiert un relief et une singularité poétique que dans les années 1930. La première occurrence du nom de Shakespeare dans les textes critiques d'Ungaretti remonte à 1918, dans l'article « Il ritorno di Baudelaire », où le poète italien commente l'opposition entre Hugo et Baudelaire, et glose : « É une série de juxtapositions de situations opposées qui s'épuisent tour à tour, sans lien. Tel est l'unique fruit que le poète volumineux de l'idéal bourgeois a tiré de sa bruyante fréquentation de Shakespeare. Important, certes, et définitif. Baudelaire, par contre, porte à son achèvement complet l'idéal romantique ». (SI, p. 10-11). Shakespeare revient sous la plume d'Ungaretti de manière assez superficielle, dans « Stato della prosa francese », en 1927 : « Ceux qui touchent le nerf de la langue (un Montaigne, un Shakespeare, un Cervantès, un GÏthe, un Dante), croyez-vous vraiment qu'ils ont du temps à perdre avec les marchands ? » (SI, p. 142). Ici encore Shakespeare n'est qu'un nom dans une liste de noms. En 1928, Shakespeare est un auteur de théâtre brandi en exemple dans un contexte polémique : « L'aberration est telle, que ceux qui vous parlent de théâtre déclarent avec sincérité que le déclin du spectacle ne dépend pas de l'absence d'un Shakespeare ou d'un Goldoni, dont on peut se passer, n'est-ce pas ? mais du fait que nous n'avons même pas un metteur en scène ». (SI, p. 179). [8] SI, p. 551. [9] SI, p. 551. [10] Ungaretti-Amrouche, Propos improvisés, Paris, Gallimard, 1970, p. 119-120. [11] Ungaretti, « Appunti sull'arte poetica di Shakespeare », Poesia, I, janvier 1945, p.132. La note parue dans la revue Poesia reproduit la « Nota » des XXII sonetti di Shakespeare. [12] Ibid., p.133. [13] Ibid., p.132. [14] Ungaretti-Amrouche, Propos improvisés, op. cit., p. 120. [15] SI, p. 575. [16] « Thus is his cheek the map of days outworn, / When beauty liv'd and died as flowers do now, / Before these bastards signs of fair were born, / Our durst inhabit on a living brown . / Before the golden tresses of the dead, / The right of sepulchres, were shorn away, / To live a second life on a second head ; / Ere Beauty's dead fleece made another gay : / In him those holy antique hours are seen, / Without all ornament, itself and true, / Making no summer of another's green, / Robbing no old to dress his beauty new ; / And him as for a map doth Nature store, / To show false Art what beauty was of yore ». [17] SI, p. 575-576. [18] G. Ungaretti, Vie d'un homme, Poésie 1914-1970, Paris, Poésie nrf - Éditions de Minuit, p. 129. [19] Ungaretti-Amrouche, Propos improvisés, op. cit., p. 120. [20] G. Ungaretti, « Appunti sull'arte poetica É », art.cité., p. 133. [21] Les traductions de Shakespeare sont celles qui ont valu à Ungaretti le plus de critiques, attentives, tatillonnes et parfois acerbes. Dans sa « Nota » en introduction à 40 sonetti di Shakespeare, de 1946, Ungaretti répond nommément aux attaques de Napoleone Orsini et de Salvatore Rosati. [22] SI, p. 573. [23] « J'étais prêt à tous les départs. // Quand tu as des secrets, nuit, tu as pitié.// [É] Le capitaine était serein.// (La lune parut dans le ciel)/ [É] ». Ungaretti, Vie d'un homme, trad. fr. Philippe Jaccottet, op.cit., p. 165-166. [24] « Full many a glorious morning have I seen / Flatter the mountain-tops with sovereign eye, / Kissing with golden face the meadows green, / Gilding pale streams with heavenly alchymy ; / Anon permit the basest clouds to ride / With ugly rack on this celestial face, / And from the forlorn world his visage hide, / Stealing unseen to west with this disgrace : / Even so my sun one early morn did shine, / With all-triumphant splendour on my brown ; / But, out ! alack ! he was not but one hour mine, / The region cloud hath mask'd him from me now. / Yet him for this my love no with disdaineth ; / Suns of the word may stain when heaven's sun staineth ». [25] « Tu décharnes les pierres jusqu'aux orbites d'ombre » (Ungaretti, Vie d'un homme, op. cit., p. 138, trad. Ph. Jaccottet). [26] « Tranquille tu t'avances et chantes / sur une mer famélique » (Ungaretti, Vie d'un homme, op. cit., p. 32, trad. J. Lescure). [27] « Devouring Time, blunt thou the lion's paws, / And make the earth devour her own sweet brood », sonnet XIX. [28] « È ora famelica, l'ora tua, matto », « Famélique est ton heure, fou » (Ungaretti, Vie d'un homme, op. cit., p. 303, trad. Ph. Jaccottet). [29] « The second burden of a former child », sonnet LIX. [30] « How much more praise deserv'd thy beauty's use, / If thou couldst answer, 'This fair child of mine / Shall sum my count, and make my old excuse', / Proving his beauty by succession thine ! / This were to be new made when thou are old, / And see thy blood warm when thou feel'st it cold », sonnet II. [31] « Les années m'apporteront/ Qui sait quelles autres horreurs/ Mais tu étais près de moi/ Tu m'aurais consoléÉ » c'est moi qui traduis. [32] Carlo Ossola, Giuseppe Ungaretti, Milan, Mursia, 1975, p. 372. Carlo Ossola a également organisé et préfacé une récente publication des sonnets de Shakespeare traduits par Ungaretti et par Bonnefoy, version au demeurant inédite en France : Quaranta sonetti di William Shalespeare, nella traduzione di Yves Bonnefoy, versione italiana di Giuseppe Ungaretti, Milan, Einaudi, 1999. [33] F. J. Jones, Giuseppe Ungaretti Poet and Critic, Edimbourgh University Press, 1977, p. 49. [34] « But day doth daily draw my sorrows longer,/ And night doth nigthly make greif's lenght seem stronger ». [35] « How oft, when thou my music music play'st ». [36] « Et le ciel est de saphir,/ Il a la couleur limpide/ Qui lui sied en ce mois/ Couleur de Février/ Couleur d'espoir » (Ungaretti, Vie d'un homme, op. cit., p. 261, trad. Ph. Jaccottet). Notons que Jaccottet évite de transposer en français la répétition de « cielo » dans le vers italien. [37] « Le miracle évoqué mélange/ La nuit en moi à cette nuit/ Où, pour te perdre et reprendre, j'ai traqué, / Plus ardents à mesure/ Que plus libres/ Éblouissement et morsure ». (Ungaretti, Vie d'un homme, op. cit., p. 284, trad. Ph. Jaccottet). [38] « Dans les soirs d'été / Quelle douleur crie/ Quelle, la douleur qui crie ? » c'est moi qui traduis. [39] Stéphane Mallarmé, Pour un tombeau d'Anatole, éd. J.-P. Richard, Paris, Seuil, 1961. [40] « Dans le projet d'origine [de la Terra Promessa] le héros grec aurait dû en quelque sorte racheter aussi la destinée de Marcellus, le fils d'Auguste, mort tout enfant, à l'image du petit Antonietto, offrant enfin à la nouvelle patrie une vision légendaire et virgilienne, apaisée » (M. Forti, Ungaretti classico e girovago, Milan, All'Insegna del Pesce d'Oro-Scheiwiller, 1991, p. 122). | |